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Attentes, ô délices. Après le bain et le petit
déjeuner, merveille de rêvasser à lui, étendue
sur le gazon et roulée dans des couvertures, ou
à plat ventre, les joues dans l'herbe et le nez
contre de la terre, merveille de se rappeler sa
voix et ses yeux et ses dents, merveille de chantonner,
les yeux arrondis, en exagérant l'idiotie pour
mieux se sentir végéter dans l'odeur d'herbe,
merveille de se raconter l'arrivée
de l'aimé ce soir, de se la raconter comme une
pièce de théâtre, de se raconter ce qu'il lui
dirait, ce qu'elle lui dirait. En somme, se disait-elle,
le plus exquis c'est quand il n'est pas là, c'est
quand il va venir et que je l'attends, et aussi
c'est quand il est parti
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et
que je me rappelle. Soudain, elle se levait,
courait dans le jardin avec une terreur de joie,
lançait un long cri de bonheur. Ou encore
elle sautait par-dessus la haie de roses. Solal!
criait cette folle à chaque bond.
Parfois,
le matin, alors qu'elle était absorbée
par quelque tâche solitaire, tout occupée
à cueillir des champignons ou des framboises,
ou à coudre, ou à lire un livre
de philosophie qui l'ennuyait, mais il fallait
se cultiver
pour lui, ou à lire avec honte et intérêt
le courrier du cœur ou l'horoscope d' n
hebdomadaire féminin, elle s'entendait
tout à coup murmurer tendrement deux
mots, sans l'avoir voulu, sans avoir
pensé à lui. »
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