Mes illusions donnent sur la cour, l’adolescence aisée au quotidien
Afin d’éviter d’entrer de front dans les “grands noms” de la rentrée littéraire, nous débutons chaque année notre dossier critique par un premier roman. Et quitte à en choisir un, autant choisir tout de suite l’un des auteurs dont on parlera le plus en septembre : Sacha Sperling. A 19 ans, ce “fils de” (Diane Kurys et Alexandre Arcady, en l’occurrence) publie chez Fayard Mes illusions donnent sur la cour, dont le titre est emprunté à la chanson de Gainsbourg, L’alcool. Une plongée en apnée dans la jeunesse désœuvrée des beaux quartiers, avec ses excès en tous genres et parents démissionnaires ou à coté de la plaque. Le tout porté par une écriture forte et mature. Sauf que la réussite n’est pas complètement au bout du chemin.
A 14 ans, Sacha est le fils d’une famille très aisée. Dégoûté du monde qui l’entoure, il s’ennuie ferme et ne souhaite que briser ce désœuvrement. A l’école qu’il fréquente très sporadiquement, il rencontre Augustin, un autre ado qui veut dépasser les limites. Les deux font la paire : entre coke, virées nocturnes et drague, Sacha et Augustin vont bientôt dépasser leur amitié en se lançant dans une relation sexuelle. Une étape qui mettra leur amitié à rude épreuve.
Balayons de suite les craintes que pourrait avoir quiconque échaudé par les romans d’auteurs à peine majeurs. Mes illusions… ne fait qu’une bouchée des tics d’écriture qui plombent d’ordinaire ce type de littérature : ici, pas de langage SMS, ni d’argot incompréhensible par les adultes, et pas plus de “name dropping”, que n’en demande un tel contexte. Sacha Sperling réussit même un petit tour de force : faire oublier que tout cela n’est qu’une auto-fiction qui aurait envoyé dans le mur plus d’un écrivain chevronné (on a des noms). Ce premier roman est, de la première à la dernière ligne, parfaitement maîtrisé dans son écriture. On sent bien que l’auteur n’est pas juste l’ado insupportable qu’il écrit, mais a acquis loin des bancs de l’école une culture littéraire qu’il a su mettre à profit. Car chacun le sait, un bon auteur est avant tout un grand lecteur (le contraire n’étant, bien entendu, pas vrai).
Hélas pour lui, la réussite d’un livre ne tient pas seulement dans le style de son auteur. Et très rapidement, on découvre avec tristesse que ce talent tourne à vide. Car l’enchaînant de très courts chapitres qui composent l’ouvrage ne sont que des descriptions de l’univers d’un adolescent se plaignant de la monotonie de son quotidien. Or la monotonie chez le sujet n’engendre que rarement la passion du lecteur. Et même si Sacha Sperling sait prendre un certain recul face à ses actes, il n’arrive pas à insuffler à son récit suffisamment de hauteur pour passionner.
Face à la cruauté de l’auteur face à son propre destin, il serait lui faire injure d’invoquer les erreurs du débutant pour excuser les faiblesses de son livre. Mes illusions donnent sur la cour sera certainement l’un des premiers textes les plus commentés de la rentrée. Même si d’autres le feront sans crainte, on préférera attendre le second livre de Sacha Sperling avant de crier à la découverte d’un Bret Easton Ellis français.
« Mes illusions donnent sur la cour » de Sacha Sperling, Editions Fayard, 265 pages, 18 €. Parution le 26 août.
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