Le Roi pâle, ultime éclair de génie de David Foster Wallace
Le Roi pâle de David Foster Wallace – Présentation de l’éditeur
Les agents du centre des impôts de Peoria, dans l’Illinois, paraissent plutôt ordinaires aux yeux de leur apprenti, David Wallace. Mais à mesure qu’il s’immerge dans une routine pénible et répétitive, au point que les nouveaux arrivants doivent recevoir une formation de survie à l’ennui, il en apprend davantage sur l’extraordinaire galerie de personnages attirés par cet étrange métier. Or il y arrive alors que des forces œuvrent pour éliminer le peu d’humanité et de dignité dont dispose encore ce travail.
David Foster Wallace se fait protagoniste de son dernier roman inachevé : il est l’apprenti qui observe et nous propose une nouvelle idée de l’héroïsme.
Sur un registre épique, il dessine en réalité une parabole de la culture postindustrielle, ou du « capitalisme tardif », autant qu’il fait un examen angoissé du sort des individus malheureux pris dans les mailles du système global.© Editions Au diable Vauvert, 2012
Le Roi pâle de David Foster Wallace – Première page du livre
Après les plaines de flanelle et les graphes de bitume et les silhouettes de rouille inclinées, et après la rivière couleur tabac surplombée d’arbres en pleurs avec des pièces de lumière au travers sur l’eau en aval, jusqu’à l’endroit au-delà du brise-vent, où des champs en friche bouillonnent et bruissent dans la chaleur avant midi : sorgho, poule grasse, faux riz, liseron, rond, pomme poison, menthe sauvage, pissenlit, queue-de-renard, muscadine, chou pointu, verge d’or, lierre rampant, abutilon d’Avicenne, belladone, ambroisie, folle-avoine, vesces, herbe à vache, haricots invaginés, autant de têtes hochées doucement dans la brise du matin comme la main tendre d’une mère sur votre joue. Des sansonnets tirés en flêche depuis le chaume du brise-vent. L’éclat de la rosée qui reste où elle est et s’évapore tout le jour. Un tournesol, quatre autres. l’un arqué, et des chevaux au loin rigides et immobiles tels des jouets. Tout hoche. Bruits électriques d’insectes à leurs affaires.0 Lumière jaune bière et ciel pâle et cirrus en volutes si hauts qu’ils ne projettent pas d’ombre. Insectes affairés tout le temps. Quartz et chert et schiste et chondrite en éclats métalliques sur le granit. Très vieille terre. Regardez autour de vous. L’horizon chevrote, informe. Tous nous sommes frères.
Des corbeaux arrivent en l’air ensuite, trois ou quatre, pas une volée, planeurs, en silence voulu, en gerbe vers le fil la pâture où un cheval sent le derrière de l’autre, la queue du cheval de devant obligeamment levée. La marque de vos chaussures gravée dans la rosée. Une brise de luzerne. Chaton sur les chaussettes. Grattement sec dans un conduit. Fil rouille et poteaux inclinés davantage symboles de limites que vraie clôture, chasse interdite. Le chuintement de l’autoroute derrière le brise-vent. Les corbeaux de la pâture dans les coins, ils retournent des mottes pour dénicher les vers, les formes des vers gravées dans le crottin renversé et cuites par le soleil toute la journée jusqu’à durcir, là pour durer, minuscules voies inoccupées en rangées et courbes encastrées qui ne se ferment pas car la flèche jamais ne touche la queue. Lisez-les.© Editions Au diable Vauvert, 2012
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