Brut de Dalibor Frioux, l’autre révélation de la rentrée littéraire
Lorsque l’on relira, à tête reposée, les nombreux articles présentant bien en avance la rentrée littéraire 2011, tout le monde retiendra la sensation provoquée par le premier roman d’Alexis Jenni, L’art français de la guerre, dont l’avenir nous dira s’il saura transformer l’essai lors de sa parution. On y trouvera malheureusement beaucoup moins de traces du premier texte de Dalibor Frioux, Brut, à paraître aux éditions du Seuil le 18 août.
Malheureusement, car cet autre premier roman est tout aussi ambitieux et réussi. Professeur de philosophie de 42 ans, déjà auteur de deux essais philosophiques, Dalibor Frioux a choisi un thème complexe et un traitement très ample pour ce roman de près de 500 pages. Une odyssée d’anticipation, située dans la Norvège du milieu du XXIe siècle, alors que le pétrole est devenu encore plus qu’aujourd’hui la première denrée convoitée par les hommes.
La Norvège y apparaît de premier abord comme le pays du bonheur équitable. Premier producteur mondial de pétrole dans un monde où le baril de brut s’échange à plus de 300 dollars, le pays, géré par une monarchie élue au suffrage universel, a tenu à se protéger des dérives financières probables face à une telle manne. Grâce à un fonds éthique, le gouvernement investit ces milliards dans des actions humanitaires et écologiques en dehors de ses frontières, car sa propre population est déjà plus que prospère, habituée à une consommation abondante et en apparence responsable. Au Nigeria, le roi de Suède a créé, milliards à l’appui, SavannahOrg, un programme de cultures locales permettant de fournir les norvégiens en légumes et fruits exotiques biologiques et bon marché.
Dans ce contexte, plusieurs personnages espèrent tirer leur épingle du jeu. Kurt Jensen, constructeur de barrages pétroliers déjà comblé, compte désormais sur son statut pour se faire nommer au comité qui décerne le Prix Nobel, s’attirant ainsi les faveurs du gotha international. Sa filleule, Sigrid Halden, fille d’une ancienne top modèle internationale mariée à un important homme d’affaires, est une brillante étudiante scientifique qui espère faire carrière dans l’univers masculin du pétrole, sans renier ses convictions humanistes. Henryk Larsen, philosophe à la tête du fonds éthique, doit chaque jour combattre les convoitises et tentations de ses collègues pour conserver au projet sa noblesse de départ. Pourtant, leurs ambitions respectives vont rapidement devoir se heurter à la face cachée de leur pays, dont l’apparence idyllique dissimule un passé peu reluisant, et une menace constante (le racisme latent gagne du terrain sur le sol norvégien, alors qu’une épidémie inexpliquée de mort subite frappe les trentenaires).
Malgré un sujet ample et un univers froid, la grande réussite de Dalibor Frioux est d’avoir su conférer au texte une dimension poétique et philosophique certaine. Brut n’est pas, ou pas seulement, un de ces grands thrillers psychologiques et politiques qui pourraient être signés Grisham ou Le Carré. Le livre fouille la complexité de ses personnages, met au service de l’intrigue la dimension philosophique du pétrole dans notre société, et ne tombe dans aucune des outrances modernistes du texte d’anticipation qui prend des raccourcis futuristes dans son intrigue. Brut est un livre complexe, épais dans sa texture, qui reflète les angoisses d’aujourd’hui dans le quotidien de demain. Une découverte majeure qui saura à n’en point douter pourfendre les amnésies d’un jour pour révéler toute sa puissance.
Écouter l’interview de Dalibor Frioux par Augustin Trapenard sur France Inter
Brut de Dalibor Frioux – Présentation de l’éditeur
Milieu du XXIe siècle.
A l’écart des grands continents minés par la violence et la pollution, la Norvège remet chaque année le prix Nobel de la Paix. Comme en retour, l’ONU classe ce petit royaume au premier rang du développement humain, offrant la vie dont tous ont toujours rêvé : opulente, juste, pacifique, dans une démocratie à taille humaine, en symbiose avec la nature. A quelques mois des élections générales, tandis que Katrin, ancienne mannequin mariée à un riche homme d’affaires, vit comme un coq en pâte à Oslo, sa fille Sigrid atterrit à Ekofisk, la plus ancienne plate-forme de la mer du Nord.
Tel est le rituel offert par la Banque centrale aux jeunes diplômés recrutés pour gérer le bon millier de milliards d’euros de la cagnotte nationale. Car le secret de la plénitude norvégienne est le pétrole et sa gestion austère dans un Fonds éthique, afin d’échapper à la dilapidation et à la corruption. Rivalisant de bonnes intentions, le royaume a même transformé une partie du Nigeria en paradis de l’agriculture biologique.
Le parrain de Sigrid, Kurt Jensen, grand constructeur de barrages, ne croit pas à tant de bonté et rêve de finir sa brillante carrière au comité qui remet le Nobel. Mais il va se heurter aux intérêts du parti populiste qui promet d’enfin distribuer la manne, et aux turpitudes sous-marines de l’État-pétrolier. Il va aussi croiser la route de Geir Lund, un ancien plongeur qui a participé à la construction des premières plates-formes off shore en mer du Nord.
A travers Geir, c’est la légende noire d’un âge industriel révolu qui refait surface, tandis qu’on s’en prend aux immigrés et que des jeunes meurent, atteints d’un mal mystérieux.© Éditions du Seuil, 2011
« Brut » de Dalibor Frioux, Éditions du Seuil, 510 pages, 21,50 €. Parution le 18 août.
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