Principe de précaution, plongée intime dans la folie du monde
Remarqué il y a deux ans avec le réussi La vague à l’âme, Matthieu Jung revient avec un second roman bien plus ambitieux. Principe de précaution est une magnifique chronique angoissée du début du XXIe siècle, à l’heure où une société est en proie à la panique générale, qu’elle soit sociale, technologique, ou financière.
Pascal, la trentaine bien tassée, est un asset manager dans la salle de marché d’une grande banque. Mari fidèle et père attentionné de deux enfants, il mène une vie une apparence tranquille qui va bientôt virer au cauchemar de tous les instants. Chaque jour ou presque, les médias annoncent avec fracas le massacre d’une famille par le fils adolescent. Un jeune collègue de bureau, Lionel Ruszczyk, prend Pascal pour souffre-douleur. La banque qui les emploie est menacée de rachat d’un jour à l’autre. Son fils a une crise d’adolescent douloureuse. Pascal va peu à peu perdre pied, en voulant appliquer à tout prix le “principe de précaution” dans tous les actes de sa vie quotidienne.
Vaste objectif que celui de Matthieu Jung dans ce roman. Brosser la folie du monde actuel dans un seul livre est en effet un défi sur lequel beaucoup d’écrivains expérimentés se sont cassé les dents. A ce titre, la réussite de Principe de précaution tient presque de la prouesse littéraire. Dans de nombreux passages, souvent concentrés dans la première moitié du texte, le quotidien affolé de Pascal réussit à nous faire froid dans le dos, peignant avec rudesse les apparents petits tracas ou grands dilemmes qui rythment nos journées. Qui peut affirmer ne jamais avoir été torturé par une menace de rachat, ou de délocalisation ? Par la jeunesse difficile d’un de ses enfants ? Des angoissants faits divers vus ou entendus en parcourant les médias ? Probablement personne, et c’est en cela que Principe de précaution vaut bien d’autres portraits du quotidien aux réussites souvent improbables.
Pourtant, Matthieu Jung n’évite pas quelques erreurs de jeunesse littéraire. Son ouvrage rappelle dans ses meilleurs moments le Cendrillon de Eric Reinhardt, le souffle romanesque et la maîtrise en moins. C’est cette ambition un poil trop dévorante qui est l’écueil le plus flagrant de Principe de précaution. Jung tombe hélas dans la tentation très anglo-saxonne du “gros livre” qui, à plus de 400 pages, en compte au moins 80 de trop. Cela rajoute hélas un dernier quart parfois ennuyeux, et impose quelque scènes répétées un peu trop souvent. Les scènes de bureau, en particulier, sont beaucoup trop nombreuses et ressemblantes pour ne pas lasser.
Ne doutons pas malgré tout que Matthieu Jung saura remédier à ces quelques faiblesses dans ses prochains romans. Inutile d’an appeler ici au principe de précaution pour affirmer que l’on est en face d’un nouveau talent.
« Principe de précaution » de Matthieu Jung, Editions Stock, 408 pages, 19,50 €