Des fleurs pour Zoë, un premier roman sur le fil du rasoir
« Une tornade de 22 ans » annonce sur fond rouge sang le bandeau de couverture du premier roman de Antonia Kerr. Jouant sur l’ambiguïté, on ne sait trop si l’éditeur pense ici à la Zoë du titre ou l’auteur elle-même, dont l’age est similaire. Concernant celle-ci, on ne pariera pas forcément sur la pertinence du mot « tornade », mais il est certain que Kerr colle parfaitement au terme révélation.
Trader new-yorkais proche de la retraite, Richard voit sa vie basculer en quelques semaines. Séparé de sa femme un an plus tôt, il se retrouve seul dans une ville et un travail qui l’ennuient. Hésitant à céder à sa bougeotte naturelle pour prendre la poudre d’escampette, il décide finalement de tout plaquer et s’installer dans un village de retraités médicalisé à Key West, en Floride. Afin de ne pas voyager seul, une petite annonce lui fait prendre la route avec John-John, un peintre noir au chômage. Lors d’un arrêt dans la famille de ce dernier, Richard tombe éperdument amoureux de Zoë, la nièce de John John. Beauté explosive de 22 ans, elle prend la route avec Richard pour une virée sans fin au travers des États-Unis. Entre dinners bondés, motels délabrés et escapades amoureuses, Richard va bientôt goûter aux affres de la passion avec une fille de presque 40 ans de moins que lui.
L’approche du premier roman d’un auteur de la vingtaine ne se fait jamais sans une certaine appréhension, échaudés que l’on est par des expériences d’auto-fiction poussives et outrancières. Dès ses premières pages, Des fleurs pour Zoë balaie ces craintes. La première chose qui frappe dans les écrits d’Antonia Kerr à construire une vraie fiction. Prenant pour cadre les États-Unis et pour narrateur un homme de soixante ans, on imagine que le livre n’a qu’un rapport ténu avec la vie de l’auteur, originaire d’Avignon. On est d’autant plus surpris que le texte tient une cadence effrénée sur ses 150 pages, où les moments de creux ne durent que quelques paragraphes.
Le plus surprenant, toutefois, est le numéro d’équilibriste auquel se livre l’auteur tout au long du livre. Car, au cœur de ce “road book” sans faille se glisse la mélancolie du narrateur, un homme dans la dernière partie de sa vie, tiraillé entre ses regrets et son amour (impossible ?) pour une jeune femme.
On sent bien que l’influence de Philip Roth n’est pas loin, et ce n’est pas un hasard si Richard tente de faire lire à Zoë La bête qui meurt, dans lequel l’un des personnages récurrents de Roth, le professeur de faculté vieillissant David Kepesh tombe amoureux d’une étudiante cubaine.
Bien entendu, il est difficile pour Kerr de rivaliser avec Roth sur la description des sentiments du personnage, mais elle se choisit un autre défi : méler cette trame avec un scénario digne d’un Quentin Tarantino survolté. Une gageure loin d’être gagnée d’avance pour un premier roman, que Kerr relève cependant avec une aisance presque déconcertante. En pleine refondation, la collection Blanche de Gallimard s’est encore trouvé une jeune écrivain dont il faudra suivre l’évolution dans des textes que l’on espère plus amples à l’avenir.
« Des fleurs pour Zoë » de Antonia Kerr, éditions Gallimard, 160 pages, 14,90 €. Parution le 19 août.
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