A la folle jeunesse, radiographie en faux-semblants d’une célébrité éphémère
De tous les jeunes auteurs ayant engendré, à la rentrée littéraire, la folie des journalistes, Ann Scott est très certainement l’un des exemples les plus mémorables. Il y a dix ans, la trentenaire sortait chez Flammarion son deuxième roman, Superstars. Le « livre d’une génération », comme l’on dit quand l’on ne veut pas se fouler. Celui de la techno, en l’occurrence, dans lequel une DJ techno lesbienne revenait vers le rock et les garçons. Un livre dont l’auteur ne pouvait que s’attirer la sympathie des médias.
Dame-pipi au Palace à 14 ans, top model quelques années plus tard, fille de “bonne famille” sous héro, bisexuelle et couverte de tatouages, Ann Scott et son livre déchaînaient les passions, réconciliant magazines branchés et cahiers littéraires des quotidiens nationaux. Il suffit de se replonger dans les coupures de presse d’époque sur le site de l’auteur pour se remémorer l’ampleur du phénomène. Nicolas Rey, qui écrivait déjà n’importe quoi, qualifiait dans Le Figaro le livre de « Liaisons dangereuses à l’époque de Technikart ». C’est dire.
Dix ans et quelques livres plus tard, Ann Scott est de retour en pleine rentrée littéraire. Dans A la folle jeunesse, son sixième roman, elle décide de tirer le bilan de la folie ayant suivi la parution de Superstars. Celui de la vie d’une femme qui, passés les amis de circonstance et les relations fugaces, se retrouve seule face à ses contradictions, dans un quotidien où les micros et caméras ont fait place à un recul parfois amer.
Il n’est toutefois pas question pour Ann Scott d’oublier qu’elle est, avant tut, un écrivain. Et ce qui aurait pu devenir un texte auto-centré et pesant fait place à une bombe littéraire qui va beaucoup plus loin qu’une chronique sur les affres de la célébrité passée. Dès les premières pages du livre, l’auteur envoie un SMS à Bret Easton Ellis en forme de question. « Tu serais outré que mon nouveau livre commence comme le tien ? », en référence à l’un des romans les plus troublants de l’auteur, Lunar Park. Une tentative d’”autobiographie” où vrai et faux jouent à cache-cache avec le lecteur, avec une maestria laissant l’auto-fiction en pâture aux auteurs de seconde zone.
L’assentiment de BEE obtenu, on comprend qu’il ne faudra rien prendre pour argent comptant dans A la folle jeunesse. Que l’auteur, se risquant à la comparaison avec l’un des meilleurs livres américains de ces dix dernières années, a décidé de jouer avec les nerfs de son lecteur, le perdre entre réalité et fiction, sans pour autant laisser le moindre indice dans le texte. Prendre sa revanche, aussi, sur tous les journalistes qui ont prétendu avoir compris sa vraie nature dans des portraits lapidaires, gavés de formules toutes faites.
Tous ces défis, Ann Scott les relève haut la main. Les 150 pages du livre ne cèdent jamais la justesse à la mièvrerie, et se lisent d’une traite. La « romancière d’une génération » a fait place à une écrivain mure et acérée, travaillant la langue avec la dextérité d’une grande. Et qui peut sans rougir lever son verre à une gloire éphémère oubliée.
« A la folle jeunesse » d’Ann Scott, éditions Stock, 155 pages, 15 €. Parution le 18 août.
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