Personne bouge, un stupéfiant “pulp novel” à la sauce californienne
200 pages et pas une de plus. C’est l’expéditif format choisi par Denis Johnson pour envoyer littéralement dans les dents du lecteur son dernier roman, Personne bouge. Encore dans les mémoires avec sa grandiose odyssée vietnamienne Arbre de fumée, Johnson prend ici le contre-pied de son œuvre avec ce petit livre haineux, et s’approprie le roman noir californien en lorgnant autant du coté de Pulp fiction que celui de Raymond Chandler.
Jimmy Luntz est un de ces petits malfrats à coté de ses pompes. Chanteur à ses heurs dans une “barbershop”, chorale locale comme seuls les américains peuvent les apprécier, il est aussi un parieur invétéré et surtout une petite frappe engluée dans la loose. Il doit de l’argent au parrain local Juarez, qui lui envoie en délégation son homme de main Gambol. Contre toute attente, Luntz s’énerve, et tire une balle dans la jambe de Gambol sur une aire d’autoroute. Juarez et Gambol lui déclarent la guerre, avec pour objectif de lui bouffer les couilles, l’une des “spécialités” de la maison. Alors que Gambol part en convalescence avec une infirmière vétérante de la l’armée, Luntz prend la poudre d’escampette. Et rencontre sur son chemin Anita, une bombe indienne qui vient d’escroquer son mari de 2,3 millions de dollars. Alors que le couple se forme inévitablement, la bande affamée de Juarez ne lâche pas Luntz d’une semelle. La conclusion de tout ça ne pouvant être autrement qu’explosive.
Écrit à 100 à l’heure, Personne bouge fait partie de ces petites jubilations littéraires qui vous illumine la journée. N’évitant aucun des passages obligés du genre choisi, de la fusillade inopinée à la fille qui fera tout basculer, Johnson signe un texte hardcore digne des meilleurs “pulp novels”. Si quelques descriptions des étendues californiennes viennent rappeler le talent d’écrivain de Johnson, l’auteur ne fait aucune concession apparente à cette échappée de son style habituel, qui nous avait habitués à des romans-fleuves.
Paru aux États-Unis quelques mois avant Inherent vice de Thomas Pynchon, on ne peut cependant s’empêcher de penser que le roman noir californien est peut-être le nouvel échappatoire des grands auteurs américains à une époque déboussolée. Car Personne bouge est également un roman résolument ancré dans son époque, celle d’une nation américaine prise au piège de la crise, des faillites personnelles, des escrocs petits et grands, ayant désormais comme seul rêve la débrouille au quotidien. Si, à l’instar du 11 septembre, il faudra sûrement attendre quelques années avant que les romanciers américains s’emparent du sujet, les petits malfrats et la misère généralisée des personnages de ce polar détourné sont probablement, dès aujourd’hui, un début de réponse de la part de Johnson.
Dans sa critique du livre pour le New York times, l’écrivain David Means (à qui l’on doit notamment De petits incendies), a probablement donné la meilleure définition de la vraie nature du livre : « Si Arbre de fumée, avec son intrigue complexe traitant de la guerre du Vietnam en la mettant en parallèle avec celle en Irak, était une œuvre énorme du style de Guernica, alors Personne bouge est une boite de soupe de Warhol, un texte brillant héritier du pop art, fait pour être immédiatement compris et apprécié ».
« Personne bouge » de Denis Johnson, traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, Éditions Christian Bourgois, 205 pages, 17 €.
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