Netherland, un rêve d’Amérique désenchanté
Arrivé en France avec la recommandation de Barack Obama, Netherland ne pouvait que susciter l’intérêt des critiques. D’autant qu’il s’agit de la première traduction française de Joseph O’Neill, déjà auteur de deux romans, et que le sentiment de découverte est toujours gratifiant. Une fois passée cette légère méfiance, on ne peut que s’incliner face à un auteur qui signe un ouvrage magnifique, qui surnage dans une production anglo-saxonne très souvent auto-centrée.
Né et élevé aux Pays-Bas, Hans est une analyste financier brillant qui a émigré à Londres pour son travail. A la fin des années 90, son épouse Rachel accepte un poste à New York, une des villes les plus métissées au monde. A l’aube de la trentaine, Hans voit dans ce déménagement aux États-Unis une occasion de mener une vie plus exaltante. Mais au lendemain des attentats du 11 septembre, Rachel ne veut plus élever leur jeune fils dans un pays en proie à la violence, et retourne à Londres. Hans se retrouve seul dans Manhattan, où il fait la connaissance de Chuck Ramkissoon, un individu étrange et fascinant. Originaire des Caraïbes, Chuck est un arbitre amateur de cricket, jeu que pratiquait Hans avec assiduité en Angleterre. Ramkissoon est un homme d’affaires mégalomane, qui a pour ambition de construire au cœur de New York un gigantesque stade pour les compétition de criquet. Entre les deux hommes naît une complicité retenue, alors que Hans, qui s’est installé au Chelsea Hotel, est désemparé parmi des inconnus, éloigné de sa famille…
La pratique du cricket tient une place centrale dans Netherland. Pour ses deux protagonistes principaux, il est le sport dans lequel la civilité et le respect de l’autre peuvent pleinement s’exprimer. Deux qualités selon eux incompatibles avec les États-Unis, pays où la violence des échanges domine. Le rêve de Ramkinssoon, qui veut réapprendre le cricket aux américains afin de les rendre meilleurs. Pourtant, ces rêves cachent une autre facette du personnage, celle d’un homme d’affaires douteux et violent, qui entretient des liens étroits avec la mafia. Cette double-facette est probablement la plus belle métaphore du livre. Car Netherland est avant tout un livre désenchanté, dans lequel l’absence et l’effacement des rêves dominent sur une envie d’ailleurs. Le titre du livre, acronyme entre Neverland, le pays de nulle part, et Netherlands (Pays-Bas en anglais), contrée d’origine de Hans, incarne magnifiquement la dualité des sentiments du personnage.
De tous les romans situés aux alentours du 11 septembre, Netherland est probablement l’un des plus réussis, avec La belle vie de Jay McInerney. Bien que très différents, les deux livres rendent chacun à merveille ce sentiment de mélancolie, de tristesse et de vide laissé par les attentats. Netherland est probablement même un livre plus fort, car il embrasse également la population américaine dans son ensemble. Le 11 septembre n’apparaît qu’en toile de fond d’un texte retenu, magnifiquement écrit, qui compte déjà parmi les plus beaux livres de l’année. Et met dans la lumière un auteur qui est, à juste titre, une révélation capitale.
« Netherland » de Joseph O’Neill, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke, Éditions de l’Olivier, 300 pages, 22 €
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